Voici le temps favorable

Le carême a débuté au soir des cendres, il y a un peu plus d’une semaine, le 14 février. Comment se laisser porter avec confiance tout au long de ce chemin de conversion et de libération ? Comment en retirer toute la richesse et la saveur ?

Nous vous proposons un entretien éclairant avec le Père Didier Duverne, curé de la paroisse de Meursault et de Nollay.

Cet entretien est paru dans le magazine Église en Côte-d’Or (numéro 812) de février 2024.

 

Quel est le sens profond du Carême ?

Le Carême, c’est d’abord un moment dédié aux catéchumènes, c’est-à-dire aux adultes qui vont recevoir les sacrements pendant la nuit de Pâques, il a cette raison d’être du temps d’ultime préparation pour les adultes qui reçoivent le baptême ; et par extension le carême est devenu pour ceux qui sont déjà baptisés, le moment où ils accompagnent ces catéchumènes en prenant conscience, eux aussi, qu’ils ont besoin de conversion. La proximité spirituelle avec ceux qui font une démarche de foi nous convoque nous-mêmes à approfondir notre foi et donc à avancer sur un chemin de conversion.

 

Sur ce chemin, y a-t-il une attitude à adopter, une sorte de cahier des charges à respecter, et aussi des écueils à éviter ?

Il faut d’abord prendre conscience que l’ambition du Carême, c’est la conversion. Notre entourage a souvent de très bonnes idées sur la façon dont chacun, l’autre, devrait se convertir. Et ça, c’est un premier écueil. Le deuxième écueil est de s’abriter derrière ses propres résolutions. Si effectivement le Carême est un temps de conversion, c’est donc un moment où on va être tenté par celui que Jésus appelle le prince de ce monde. Et nous allons être tentés, peut-être pas forcément là où l’on croit…

C’est-à-dire ?

Je veux dire que nos résolutions de Carême, on va avoir tendance, par un orgueil inconscient, à les choisir relativement ambitieuses. À partir de là, il y a deux solutions, où on parvient à respecter nos résolutions, et le piège est de s’autoglorifier soi-même. Ou bien, on n’y arrive pas, et à ce moment-là, c’est la désespérance qui nous guette. Et dans un cas comme dans l’autre, le diable aura gagné. Donc, méfions-nous des résolutions, soyons modestes, humbles, dans les décisions que nous pourrions prendre, en sachant que si c’est bien le Christ de l’Évangile que nous voulons suivre pendant le Carême, il faut s’attendre à être dérouté à marcher sur une autre route que celle que nous avions envisagée. Et il y a encore une fois, comme un orgueil à croire que je vais y arriver par mes propres résolutions, alors que j’ai à m’ouvrir, à accueillir un appel de Dieu qui va m’amener à me convertir.

Encore faut-il être capable d’opérer, ou de prendre conscience d’un re-tournement nécessaire. Et si le silence pouvait tous nous y aider ?  

La conversion, le retournement comme vous dites, requiert effectivement en premier lieu le silence pour écouter Dieu qui nous appelle. Et, c’est peut -être aussi le moment de prendre conscience que Dieu, à travers son Fils, se retourne vers nous. Combien de fois dans l’Évangile, Jésus se retourne… je pense en particulier au moment de la Résurrection, où Jésus se retourne vers les femmes. Et qu’il appelle Marie ! et qu’ainsi, elle le reconnaît. Vivre un temps de conversion, c’est aussi prendre conscience qu’en Jésus, Dieu s’est approché de nous, et qu’il s’est comme retourné vers nous et nous appelle à le suivre. Mais ce que vous dites sur le silence m’invite à dire que le jeûne peut nous faire jeûner de paroles superflues, celles qu’on entend, celles que l’on recherche d’une certaine façon, et celles que l’on peut proférer soi-même. Jeûner de bruit pour se confronter au silence, où finalement, nous aurons l’oreille assez attentive pour entendre ce que Dieu veut nous dire.

Qu’en est-il du jeûne au sens littéral ?

On peut aussi jeûner de nourriture, c’est évident. Mais attention à ne pas confondre le jeûne avec l’exploit de type sportif. Ce qui nous est demandé, c’est de nous laisser descendre au creux de nos faims, faim de nourriture, certes, mais faim de tout ce dont nous avons du mal à nous passer, et qui est bien souvent superflu, jeûner de ce qu’on a en trop.

 

La prière, dont a rarement assez, reste le 1ᵉʳ pilier du Carême. Cette faim-là, il convient de la creuser, et c’est le bon moment, non ?   

Oui, voici le temps favorable pour prier, nous dit l’écriture au moment du Carême, pour approfondir cette relation personnelle avec Dieu. Et la prière, ce n’est pas tapageur, pas démonstratif, ce n’est pas sujet à évaluation, et peut-être pour cette raison-là, elle est un authentique moyen de conversion. Parce que son intérêt, ou sa productivité nous échappe, et il y a donc beaucoup de chances pour que Dieu parle par cela. Prier, c’est encore une fois lié au silence dont on parlait, c’est desserrer l’étau des multiples occupations et préoccupations, soucis, pensées qui nous assaillent. Desserrer cet étau-là pour laisser un espace où Dieu pourrait parler. Et à cet égard, la fréquentation avec la Parole de Dieu pendant ce temps de Carême est effectivement un moyen objectivement sûr de laisser Dieu nous parler.

 Et, il y a aussi le partage, comment le faire vivre en nous ?

Le partage, c’est vivre une pauvreté consentie de façon volontaire, pour finalement, purifier en nous tout ce qui est un peu superflu ; en se privant substantiellement de choses et de biens, c’est se rendre compte de nos dépendances. Et c’est peut-être essayer de les apprivoiser, de les maîtriser, de les dominer davantage, et d’en être davantage le maître, plutôt que l’esclave.  Ce don de ce qui nous est substantiellement nécessaire, cette pauvreté librement acceptée et voulue, c’est agrandir en nous un espace de liberté, tant nous sommes dans la vie ordinaire, assaillit de besoins de confort multiples qui finalement nous emprisonnent.

Et rester ancré dans l’Espérance et la confiance ; ce n’est pas évident au milieu de tous les tumultes du monde ?  

Oui, ce sera toujours un chemin d’espérance et de confiance, malgré les difficultés du monde. On peut parler des guerres, et se dire que l’on n’y peut rien, mais peut-être que le Carême est l’occasion pour chacun, à notre niveau, d’être artisan et bâtisseur de paix, et se dire que finalement « j’y peux quelque chose ». Pas de façon grandiloquente évidemment, mais ce n’est pas parce qu’on ne peut pas faire de grandes choses, qu’il ne faut rien faire du tout.

Croire aux petites choses, aux gouttes d’eau dans la mer… ?

Mais est-ce qu’il y a un petit geste d’amour ? Ça n’existe pas. Un geste d’amour, c’est toujours grand. Moi, quand arrive le mercredi des Cendres, et j’en ai déjà un certain nombre à mon actif, la joie qui est la mienne, c’est de me dire voilà, nous sommes le mercredi des cendres 2024, et Dieu n’a toujours pas renoncé à me faire avancer sur le chemin. C’est peut-être une joie naïve, mais c’est une vraie joie de me dire que Dieu n’a pas désespéré de moi, malgré tout.

 

Très souvent, on a une image très sévère, austère du Carême. C’est important de parler de la joie ? !

Et oui, parce que cette image triste encore une fois, c’est un piège du diable. Qui a envie d’avancer sur un chemin de tristesse et de douleur ? Personne !  Nous ne sommes pas masochistes. Si nous voulons avancer sur le chemin de conversion, c’est pour avancer vers notre libération, et vers la pleine stature de notre humanité, voulue, aimée, créée, par Dieu. Et ce n’est pas pour s’autoflageller.

 

Entretien, Marie Raulin 

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